Eté 1994, Amin (Shaïn Boumedine), apprenti photographe et scénariste à Paris, retourne sur ses terres natales sétoises retrouver sa famille tunisienne et ses amis. Pour son sixième long-métrage, Abdellatif Kechiche filme le désir et la sensualité comme personne à travers le périple amical et amoureux d’une bande de jeunes. Un grand film boudé par les Césars.

Le culot du film est de ne pas être régit par des déterminismes scénaristiques. On ne sait jamais réellement où l’on va, le scénario est insaisissable, tout ce qui importe Kechiche, c’est de passer du temps avec ses personnages. Sous l’impulsion d’Amin, de Tony (Salim Kechiouche) et d’Ophélie (Ophélie Bau), on découvre une sorte de grande famille qui partage des valeurs communes et se ressource du côté des bars, des boîtes ou de la plage. Le tout dans un tourbillon d’amitié, de sensualité, d’amour et de désir.
Le corps, objet de fascination
D’emblée, le corps devient l’objet principal du film avec une première scène aussi gênante que profonde. Parfois étouffante, cette manière de filmer les corps de la part du réalisateur reste néanmoins fascinante par sa capacité à rendre la moindre forme féminine source de désir.
Différents corps qui mêlent différents personnages mais tous habités par des envies communes telles que l’amour, l’amitié ou la fête. Spectateur de cet enchevêtrement de personnalités différentes, Amin reste lui en retrait de ces envies, comme s’il était retiré de ce monde. La dimension sociale du film est aussi très forte puisqu’il parvient à montrer toute la complexité des relations amoureuses, amicales, érotiques et familiales à travers de simples vacances passées entre amis.
La première scène dans le bar où tout ce beau monde se retrouve synthétise parfaitement cette idée de mixité sociale et de différentes personnalités qui ne peuvent se rejoindre que par la danse qui est l’expression d’un corps, moteur de désir et de sensualité.
L’infiniment ouvert
Mektoub,My Love dure 3 heures. La particularité sont ses scènes très longues qui ne finissent pas ce qui donne un pouvoir infini au film. Chacun est libre de s’imaginer sa propre suite d’une scène et notamment sa propre fin.
Une scène caractérise parfaitement cette idée. Lorsque la bande d’amis se retrouve en boîte, chaque personnage profite à sa manière de sa soirée, le plus souvent par la danse et les baisers dans une ambiance enivrante magnifiée par une musique techno sublime. Même dans ces moments, Amin reste en retrait, sourire aux lèvres, en observant Ophélie se déhancher sur la musique. On ne sait pas comment cette scène de 20 minutes se termine, on ne peut que supposer et c’est là l’une des forces du film.
Abdellatif Kechiche ne juge jamais ses personnages, il décrit de manière simple leurs comportements, leurs ambivalences ainsi que leurs défauts, sources de chagrin, de dégoût mais aussi de joie.
Vitalité et liberté
Le film est empreint de vie et de bonheur. Forme d’ode à la jeunesse, Mektoub, My Love décrit le quotidien vacancier de jeunes adultes souhaitant s’amuser.
« Allez vous amuser ». Voilà ce que répète le plus souvent la mère d’Amin. Les jeunes sont libres de faire ce qu’ils veulent sans contraintes, souvent dans l’extravagance et la débauche, mais au moins ils s’amusent entre eux.
Le spectateur peut facilement se reconnaître dans cette aventure, chronique des vacances de n’importe quel jeune.
La scène de l’accouchement d’une chèvre, immortalisée par Amin, toujours dans une position d’observateur, révèle en toute discrétion l’essence même du film. D’une beauté sidérante, elle contraste parfaitement avec l’extravagance ambiante d’une partie des personnages qui exprime simplement leur amour de la vie d’une autre façon.
Choquant, apaisant, intriguant, déroutant, Mektoub, My Love-Canto Uno est tout cela à la fois. Mais il est avant tout un grand film, injustement boudé par l’académie des Césars. Hymne à la liberté et aux plaisirs de la vie, il restera comme un grand moment de cinéma de l’année 2018 qui augure une suite tout aussi alléchante.