Le cinéma est souvent le miroir de la réalité. Mais ici, il la dépasse. Alors que le verdict du procès du cardinal Barbarin va être rendu prochainement (le 7 Mars), Grâce à Dieu, lui, est déjà en salle et met un sacré coup de projecteur sur cette affaire de pédophilie qui secoue l’Eglise Catholique.

Le dernier film de François Ozon relate l’histoire de 3 victimes du Père Preynat dans les années 1970-80. Le prêtre s’occupait des scouts pour l’église Saint Luc de Sainte Foy lès Lyon et est accusé de plus de 70 viols sur mineur. Sans qu’il ne soit jamais condamné par sa hiérarchie. Le film s’ouvre en 2014, lorsqu’Alexandre Guérin (Melvil Poupaud), père de famille catholique lyonnais et ancienne victime du père Preynat, se rend compte que celui-ci officie toujours auprès d’enfants. Il souhaite ainsi libérer sa parole et dénoncer ces agissements. Il lui aura fallu 30 ans. Il sera rejoint dans son combat par plusieurs autres victimes, notamment deux, François (interprété par Denis Ménochet) et Emmanuel (Swann Arlaud, à vif). Le récit s’articule ainsi autour de ces 3 personnages qui vont mener une lutte sans merci afin de se libérer eux-mêmes, mais aussi de punir les actes du prêtre. Glacial de réalisme, très émouvant et brillamment rythmé et mis en scène, Grâce à Dieu est un film puissant.
Minutieux et empreint d’humilité
La mise en scène est un des points forts du film. Les rues lyonnaises sont arpentées intelligemment et le décor somptueux offert par les alentours de Fourvière donne une forme de mélancolie au film.
L’histoire est une lutte continuelle, presque obsessionnelle de la part des 3 protagonistes. Scindé en 3 temps, Grâce à Dieu est très bien ficelé et brosse un portrait précis et minutieux des différents types de victimes du Père Preynat. Il y a d’un côté la bourgeoisie catholique lyonnaise incarné par Alexandre et sa famille. D’un autre, François qui a mis le religion de côté et vit dans le Beaujolais. Et enfin, Emmanuel, brisé par cet épisode et qui n’a pu refaire sa vie. Tous trouvent leur salut dans la parole libérée.
Cette enquête étalée sur plus de deux heures n’est pas sans rappeler Spotlight de Tom Mccarthy à la différence que le point de vue adopté est ici uniquement celui des victimes. Assez lent dans son déroulement, mais terriblement profonde, l’enquête est saisissante d’horreur et de réalisme et met en avant toute la complexité des affaires de pédophilie qui ronge l’Eglise Catholique depuis des décennies. Tout en retenu et en discrétion, François Ozon dénonce et condamne ces actes impunis et dissimulés par L’Eglise.
La parole libératrice
Le film souligne à quel point il est dur de surmonter un événement pareil. On est admiratif et empathique vis-à-vis des victimes qui osent parler. A l’opposé, on est dégoûté et sidéré par l’attitude de Barbarin et de toute l’Eglise.
La parole apparaît pour eux comme un moyen de se décharger de toutes les horreurs qu’ils ont subies. Chacun réagit différemment à cette affaire, les 3 victimes ont chacun leur façon d’extérioriser. Ce mouvement solidaire qui se crée grâce à cette enquête met en avant la force que la parole détient et la faiblesse dont fait preuve l’Eglise dans la condamnation envers les agissements des prêtres.
Le film souligne aussi les difficultés que peuvent endurer les familles des victimes au moment des faits, la difficulté de réagir face à cette immense institution qui régit la vie de beaucoup d’entre nous et qui est très appréciée. Beaucoup se taisent de peur de déranger, mais cette affaire qui rendra bientôt son verdict est une véritable victoire de la parole face à l’hypocrisie.
Un trio complémentaire et touchant
Mais ce film ne serait rien sans les 3 immenses interprétations des acteurs principaux. Melvil Poupaud est parfait en bourgeois lyonnais encore meurtri par cet épisode sombre. Il a réussi à construire une vie de famille mais ne parvient pas réellement à tourner la page.
Denis Ménochet, très électrique, est plus dans l’extériorisation et la démesure puisqu’il fait tout ce qui est en son pouvoir afin de condamner ces agissements. Il est le principal fer de lance de l’association et peut-être celui qui en a le moins souffert.
Et il y a enfin Swann Arlaud, en garçon abîmé par la vie, vulnérable et fragile qui renaît littéralement grâce à ces témoignages et grace à ce mouvement. Incapable de réussir professionnellement, il garde cette blessure au plus profond de lui et cet aveu apparaît pour lui comme une délivrance et un nouveau départ.
Chaque personnage est ainsi très différent, complémentaire et surtout uni dans la souffrance. Cet enquête est pour eux un nouveau chapitre de leur vie et les condamnations tant attendues leur permettront sûrement de faire le deuil et de vivre enfin en paix.